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Friday, February 09, 2007

En couverture de Télérama

Benoît Péverelli pour Télérama

Rachid a été dernièrement en couverture de Télérama avec la photo reproduite à gauche. Voici l'article en question où l'on découvre un Rachid Taha moins militant qu'avant et plus enclin à parler de lui-même. En cadeau deux videos originales dans lesquelles Rachid récite des textes inédits !

“La France est un pays de plus en plus féminin”

Sa déception face aux années Mitterrand, ses colères – injustices de l’immigration, soumission des femmes… Rencontre avec un chanteur au verbe mûri et incisif.
Corps sec et voix écorchée, le verbe iconoclaste et l’œil incendiaire, Rachid Taha allume tous les feux. Et ne les éteint plus. A 48 ans, celui qui fut le premier à conjuguer rock et raï, à mixer rageusement tous les styles, nous conduit avec panache sur des sentiers d’infinies libertés. Tolérance. Insolence. Il en fallait pour résister à la douleur de l’exil, aux humiliations de l’émigration. Mais l’ex-leader du groupe lyonnais Carte de Séjour (1982-1989), le rebelle écorché vif n’a peur de rien. Surtout pas de dénoncer la condition des musulmanes (Zoubida, en 1981), d’orientaliser Charles Trenet (Douce France, en 1986), d’imposer le premier tube en arabe (Ya Rayah, en 1998), ou de revisiter sans fin la musique de son enfance (Diwân 1 en 1998 et Diwân 2, qui vient de sortir). Adoubé par les plus grands musiciens anglo-saxons – Brian Eno, David Byrne – artiste jusqu’au bout du cœur, l’homme a des fulgurances, des extravagances que beaucoup admirent et redoutent tout ensemble

A l’étranger, en Angleterre notamment, vous êtes une star, en France un peu moins. Pourquoi ?
Les Arabes continuent de faire peur. Les Noirs, eux, ont plutôt de la chance : ils ont l’image d’athlètes rigolos, bons danseurs, grands baiseurs, ils ont même des héros dans les séries américaines… Ici, beaucoup de Français n’ont toujours pas digéré la guerre d’Algérie. L’Arabe inquiète. On ne peut pas se fier à ce fourbe, potentiel terroriste, fils de fellagha qui peut vous égorger pour rien…

Vous n’exagérez pas un peu ?Nous vivons de plus en plus dans des ghettos communautaristes. Je viens de faire un concert à Lille à l’initiative du KO Social, le mouvement festif et contestataire lancé par les Têtes Raides en 2004. Eh bien, dans la salle, il n’y avait ni beurs ni blacks, rien que des gentils petits-bourgeois blancs. J’avais l’impression qu’avec Jean-Louis Aubert et les autres nous étions des vétérans du combat militant, aussi ringards que les vieux yé-yé en tournée qui enchantent actuellement la France. Pire : après le concert, j’ai voulu amener une spectatrice saluer les autres artistes et le videur ne m’a même pas laissé entrer. Il a fallu qu’Aubert vienne me chercher. J’en ai pleuré. En ce moment, je vis mal ce genre de situations. Même si elles sont pires pour les jeunes beurs anonymes. La situation s’aggrave.

Pourquoi ?

Parce que les gens deviennent analphabètes ! Et quand on est dans l’ignorance, on se ferme, on devient méchant, raciste… L’autre jour, j’entendais Guy Bedos déclarer chez Ardisson à la télé qu’il ne pouvait supporter le président iranien, « cet Arabe ». Il a fallu qu’Ardisson lui explique qu’Amadinejad était perse, et que ça n’avait rien à voir. « Tous les mêmes ! » a pourtant ricané Bedos… C’est ça, la gauche éclairée ? Quand j’entends Ségolène Royal et Sarkozy, j’ai l’impression d’une famille de ventriloques. Ils disent la même chose. Au moins, nous devons à Sarkozy la fin de la double peine, et je pense qu’il accordera le droit de vote aux immigrés, comme il l’a évoqué… Je suis de gauche. Mais il faut bien reconnaître que la gauche est en partie responsable de ce qui se passe. La génération des 25 ans qui ne trouve ni boulot ni logement dès qu’elle mentionne un nom aux consonances maghrébines, ces jeunes beurs diplômés qu’on embauche davantage à Londres ou à Dubai qu’à Paris, ils ont grandi sous Mitterrand ! Il n’y a pas seulement un problème de cités ; il y a le problème de toute cette jeunesse de France qu’aucun gouvernement n’est parvenu à intégrer, et qui désespère. Prenez la fameuse Marche des beurs, de Marseille à Paris, dont je m’étais pas mal occupé en 1983, du temps de mon groupe Carte de Séjour. Elle a été très tôt récupérée par les têtes pensantes de SOS Racisme et de Touche pas à mon pote. Rien que ce slogan ! Moi, justement, je voulais qu’on y touche aux potes, qu’on les serre dans nos bras.

Vous militiez alors davantage qu’aujourd’hui.

On ne peut plus militer comme avant.

Pourquoi ?

Parce qu’on ne peut plus faire de barricades dans un pays où les philosophes travaillent à la radio quand ils ne sont pas speaker à la télé. C’était autre chose avec Derrida (j’aimais ses yeux qui vous regardaient en face, il me disait toujours, lui le juif d’El-Biar, qu’il était avant tout algérien !) ou encore Deleuze, dont j’ai imité l’abécédaire… en arabe. Maintenant la seule « barricade » qu’on ait, c’est paradoxalement la télé. Il faudrait la sortir et s’asseoir dessus. Je préfère militer à travers ma musique.

Diwân 2 est un disque militant ?

C’est une sorte de cours d’histoire à l’usage des immigrés de la troisième génération… et de tous les Français. J’ai réalisé un jour combien mon propre fils connaissait mal son héritage culturel. Alors j’ai voulu lui constituer une sorte d’encyclopédie musicale qui rende hommage aux plus belles voix orientales. On ne peut s’ouvrir à l’autre qu’en ayant une conscience forte et épanouie de son identité. Je ne me sens pas victime, j’ai même horreur des martyrs, de ceux qui se complaisent dans la plainte. Une victime, c’est un cadavre. Or il faut avancer. Et avant de dénoncer le racisme, on a nous-mêmes, les Arabes, beaucoup à balayer devant notre porte.

C’est-à-dire ?

Et notre racisme envers les femmes ? La soumission à laquelle la famille et un islam mal compris les contraignent, l’obligation du voile ! Tant que les femmes restent asservies, la démocratie ne peut exister. Prenez les mariages arrangés, qui demeurent la règle chez nous. Quand il n’y a pas d’amour au départ, quand le géniteur est trop souvent un violeur, les mères ne peuvent se réfugier que dans leur foi et tombent amoureuses du premier homme doux avec elle : leur fils aîné ! Du coup, elles surinvestissent sur lui, mettent leurs filles éventuelles au service du grand-frère, en font un macho. Et parfois même un intégriste tant leurs relations sont sublimées : pour le fils, la mère si dévouée, si pieuse est devenue une sainte, dont il se rêve le prophète.

Vous êtes un « premier » fils ?

Non, le deuxième. Mais l’aîné est mort enfant. De toute façon ma mère m’a eu à 15 ans et je ne l’ai jamais appelée « maman », mais Aïcha. Ça m’a aidé à trouver très jeune « un meilleur couscous que celui de ma mère », comme on dit chez nous… D’autant que j’ai toujours adoré les femmes. A 10 ans, j’en paraissais 8, et Aïcha m’amenait avec elle au hammam ; les femmes y chantaient des chansons coquines, ma mère aussi… J’ai grandi au milieu d’elles – ma voisine, ma cousine… – dans un mélange absolu de bonheur et de souffrance. Souffrance parce qu’il n’y avait, hélas, aucune mixité : les femmes de là-bas restent entre elles, à la tâche. Les hommes sont ailleurs. Les pères absents.

Quelle enfance avez-vous eue ?

D’abord une enfance choyée à Oran, et dehors, dans la rue. Jusqu’à l’âge de 10 ans, en 1968. Mon père voulait qu’on ait une bonne éducation, à l’européenne : on était la seule famille du quartier à avoir une table haute pour manger, et pas basse comme les autres… J’ai été aussi quatre ans chez les bonnes sœurs, j’étais même premier en catéchisme. Mon père, qui avait dû émigrer en France pour trouver du boulot – mais ne pouvait vivre sans nous –, nous a ensuite fait venir en Alsace où il travaillait dans le textile. Double exil ! Il y avait le froid, la neige et une langue alsacienne que je ne comprenais pas. Terrible. Et puis l’usine de mon père ferme, et nous voilà dans les Vosges, à Lépange-sur-Vologne ; j’ai dû aller à l’école avec les Villemin… Je déteste la campagne, j’ai peur dès que ça n’est pas éclairé. Heureusement en 1977, le fils du maire de Lépange m’embarque vendre avec lui des encyclopédies médicales au porte-à-porte. Je me retrouve avec une bande de jeunes représentants de toutes les nationalités, j’apprends à faire du commerce grâce à la tchatche. Et mes parents partent bosser à Lyon…

Une éducation de petit chrétien ?

Dire que je ne suis pas musulman serait mentir. Mon père est allé à l’école coranique, maîtrisait le Coran ; j’en ai beaucoup parlé avec lui, et avec mon grand-père. C’était une façon de partager avec eux, d’être un homme. Et d’apprendre, aussi : j’ai toujours eu cette soif-là ; sans ça, on est rien. Mais du coup, je ne vois plus de différence radicale entre religions chrétienne et musulmane : elles reposent chacune sur le respect de l’autre, la bonté, la générosité. Mes parents ne m’ont jamais enseigné la haine, mais la tolérance… Je lis un peu le Coran, c’est subtil, plein de poésie ; seulement, il n’est pas donné à tout le monde de le comprendre, il y a beaucoup de charlatans.

Et la musique ?

J’y arrive par hasard. En 1979, je travaille à l’usine Thermix de Lyon, et j’y rencontre deux frères – Mohamed et Mokhtar Amini – qui jouent de la guitare. Je leur raconte que je suis percussionniste, alors que je n’avais tapé que sur des casseroles ; ils m’invitent dans leur grenier. Comme j’écrivais des poèmes, je chante… Notre ambition, alors, n’était pas de devenir rock stars, juste de gueuler ce qu’on avait sur le cœur. C’était l’époque des lois Stoléru et Bonnet, qui stoppaient l’immigration, renforçaient les expulsions, favorisaient les retours au pays des Maghrébins avec 10 000 balles de prime ! C’est pour ça qu’on a appelé notre groupe Carte de Séjour. Je l’ai dissous en 1989, lors d’une tournée à Berlin, au moment de la chute du Mur. Il faisait encore un froid de canard. Dans la rue, on voyait les gens mettre des bouts de mur dans des plastiques… pour les vendre ensuite. Nous aussi, Carte de Séjour, nous tombions en morceaux, nous étions devenu un phénomène social, nous tournions en rond.

Avec de beaux moments de bravoure et de scandale…

Oui, comme Zoubida, en 1981, une chanson qui dénonçait le mariage forcé chez les musulmans ; ou Douce France, en 1986, qui reprenait de façon orientale le grand tube de Charles Trenet, manière de dire que nous existions aussi…

Une attaque d’un côté, de l’autre…

On ne sait jamais où je suis, qui je suis. Autant fasciné par le rock anglais pur et dur que par les chanteurs populaires arabes, par la soul que par le punk, par la musique électronique que par le raï. Ami de Patrick Juvet comme de Brian Eno, de Demis Roussos comme de Patti Smith. Plutôt pudique et timide au fond. Mais fou de Jean Genet – le plus arabe des écrivains français – et incollable sur les westerns de John Ford. J’ai toujours aimé les métissages. Dès l’enfance.

Comment ?

Par le cinéma ! Gamin, j’allais voir tous les films qui passaient à Oran. C’est-à-dire en priorité des films indiens de Bollywood, des nanars rock d’Elvis Presley et des comédies musicales égyptiennes. Mais comme la plupart des jeunes Algériens, je n’aimais pas beaucoup les artistes égyptiens comme Oum Kalsoum ; ils chantaient un arabe classique que nous ne comprenions pas, et cette langue-là qu’on parlait à la télé, aux infos, nous semblait synonyme de pouvoir. Elle symbolisait une hégémonie culturelle égyptienne que nous refusions. Les Egyptiens, c’étaient nos Américains à nous…

Face aux grands puissances arabes « amies », vous ne semblez guère orthodoxe…

Les pays arabes sont pour moi en partie responsables de ce qui se passe au Proche-Orient. Combien de fois j’ai fait des concerts en Palestine, alors que la plupart des interprètes arabes se voyaient interdire toute participation par leur gouvernement ! Car la Palestine fait peur. C’est un pays réellement démocratique, ce que ne sont pas les autres pays arabes qui ont tout intérêt, du coup, à ce que perdure la guerre avec Israël… Pour ça, ils entretiennent la haine. Vous savez qu’on n’enseigne guère l’Holocauste aux petits arabes, de peur qu’ils détestent un peu moins les juifs… Or moi, je maintiens qu’un pays sans forte communauté juive est un pays où la démocratie risque de mourir. Parce qu’ils savent discuter, réfléchir sans fin, ça fait partie intégrante de leur étude du Talmud, c’est inscrit dans leurs gènes… En France, on a Robert Badinter, Simone Veil ; mais en Algérie, aujourd’hui, qui y a-t-il encore ? On a chassé les juifs lors de la décolonisation. Et le pays est devenu une dictature.

Vous y êtes retourné en mai 2006.

Je n’y avais pas remis les pieds depuis 1989 ! J’avais trop de colère contre ce pays qui n’avait pas été capable – malgré ses richesses – de nourrir son peuple, qui avait obligé des gens comme mon père à émigrer, à être humilié à l’étranger, à y subir des douleurs énormes. Jusqu’à n’avoir même plus la force de revenir. C’est fini la « culture du retour », le temps où on achetait des postes de télé en gardant les cartons, pour les rapporter en Algérie. Maintenant, on les jette d’emblée car personne ne veut retourner là-bas. Tous les gamins qui y vivent n’ont d’ailleurs qu’une idée : partir ! Et ceux du 93 qui débarquent aux vacances voir leur famille dans leur belle bagnole se comportent d’ailleurs en vrais colons. Alger, c’est leur Saint-Tropez de pauvres…

Vous êtes dur…

J’en ai marre qu’on nous infantilise et qu’on se laisse infantiliser. Comment a-t-on pu se réjouir qu’après la sortie du film Indigènes le gouvernement ait enfin annoncé une revalorisation des pensions des anciens combattants africains de l’armée française ? Cette injustice durait depuis… 1959 et c’est honteux qu’il ait fallu un film pour y remédier. Pire : qu’on croit nous apaiser avec une petite allocation, quand par ailleurs on ne donne même pas de visas pour revenir en France aux anciens combattants qui sont rentrés en Algérie.

Que faire ?

Donner du boulot aux pères des cités pour que les fils ne les retrouvent pas affalés devant leur télé quand ils rentrent de l’école. Comment croire possible, après, de s’en sortir ?

Pourquoi chantez-vous ?

Pour faire aimer Dieu même s’il n’existe pas.

Comment faites-vous ?

J’écoute. Tout le temps. Tout. Je suis un receleur. Je récupère tout ce que j’entends. Je rythme et je chante dessus. Je bosse tout le temps. Je peux chanter, slamer dix-sept heures de suite sans m’arrêter. Abd Al Malik, je le prends quand il veut. J’aime les mots, la voix, les voix. Je ne peux pas m’endormir sans en écouter une. Radio ou DVD. Je me passe en boucle, par exemple, Si Versailles m’était conté ou La Poison, de Sacha Guitry. Il n’y a plus de voix comme Michel Simon ou Pauline Carton.

Pourquoi ?

Parce qu’il n’y a plus de culture. Les gens ne lisent plus, ne pensent plus. Il y a un rythme ultra-rapide de l’élocution, de la parole qui correspond à l’absence de choses à dire. Genre, « Tékitoi ? ». Du coup, il n’y a plus de voix. Ou toujours la même… Je rêverais d’écrire un opéra, ou au moins une comédie musicale. J’y travaille en ce moment. Un livret autour d’une fille qu’un harki a eu d’une juive ashkénaze…

On est loin du rock de vos débuts ?

Pas du tout. Je reste rock, hard rock même. Metal ! Mick Jagger me gonfle, je préfère Marilyn Manson… Le rock c’est surtout une attitude : prolo, naïve, humaine. Edith Piaf était rock, Johnny Hallyday est rock, même s’il n’a jamais fait un seul disque rock. Juste de la varièt… On est pas rock en France. Chez nous, c’est plutôt chansonnette, accordéon, Bénabar et Obispo. Mais j’adore la France.

Pourquoi ?

Parce que c’est encore un vrai pays démocratique qui s’est construit sur un beau slogan publicitaire : Liberté, Egalité, Fraternité. Et puis les femmes y sont plus belles qu’ailleurs ; le photographe Helmut Newton le disait, et c’est vrai. La France est d’ailleurs un pays de plus en plus féminin, homo même.

… ?

Vous n’avez pas remarqué comme on s’embrasse ici ! Pour un oui, pour un non. C’est le côté arabe de la France. C’est déjà un début… "

Propos recueillis par Fabienne Pascaud (TELERAMA).
Avec l'entretien, deux videos en ligne et en pod-cast:

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